Une pratique nouvelle et contemporaine
Dans sa modestie qui la faisait toujours s’effacer, en toute docilité aux indications de la grâce et en toute soumission aux directives de l’Eglise, Sœur Marie du Sacré-Cœur n’a jamais prétendu « innover », mais elle a contribué à présenter d’une façon un peu nouvelle un culte solidement établi. « Non nova, sed nove » elle n’a jamais pensé faire un nouvel exposé doctrinal mais elle a voulu présenter le culte du Sacré Cœur d’une manière plus adaptée aux mentalités actuelles.
On peut dire que le culte du Sacré-Cœur, au cours du 19e siècle, a connu une extension plus importante encore qu’au cours du 18e°siècle. Non seulement à l’intérieur des Monastères, plus particulièrement à l’intérieur des Monastères de la Visitation, mais encore par la fondation d’Ordres religieux masculins ou féminins (plus d’une trentaine depuis 1800 (9) placés sous le patronage du Sacré Cœur. Et plus encore, s’il est possible, dans les paroisses, avec toutes les confréries ou associations pieuses, avec les bulletins multiples qui en recommandaient le culte. Une place à part étant faite en particulier à l’Apostolat de la prière de Toulouse. (10)
Nous ne serons pas étonnés qu’une Visitandine s’inspire des orientations données par son Fondateur, Saint François de Sales, un des précurseurs du culte du Sacré Cœur. Dans son « Introduction à la Vie Dévote » celui-ci s’était adressé expressément, non pas seulement aux âmes consacrées, aux moniales, mais à tous les gens du monde qui vivent « en ville en ménage, à la cour, et qui par leur condition, sont obligés à une vie commune quant à l’extérieur » (11)
La dévotion, à ses yeux – et pour beaucoup de ses lecteurs , ce dut paraître chose nouvelle - n’est pas réservée aux personnes « retirées du commerce du monde » mais tous les chrétiens sont appelés à vivre dans la monotonie de la vie quotidienne (ce qu’ils appellent « la vie commune » ) une spiritualité simple, adaptée à leurs possibilités, à leur tempérament, à leur « état et condition » et Saint François de Sales avait donné d’utiles conseils, dans ce sens, aux hommes de son temps, conseils qui ont toujours grande valeur, comme en témoigne le succès des rééditions successives de « l’ introduction ».
Sœur Marie du Sacré-Cœur avait fait durant sa courte vie "séculière "l’expérience d’une « vie dévote » dont elle avait connu les difficultés. Elle eut l’intuition que la dévotion au Sacré-Cœur pouvait servir de base à une spiritualité à la portée de tous. Chacun, suivant « son état et sa condition » pour reprendre les mots de Saint François de Sales, pourrait en vivre en esprit de pénitence, de réparation, pour la plus grande gloire de Dieu simplement dans l’exercice de son devoir d’état.
Ceux qui accepteraient d’adhérer à la garde d’honneur pourraient ainsi pratiquer une vie d’union au Christ, d’union à son sacrifice, au sacrifice eucharistique, dans le cadre de la vie quotidienne. C’est ainsi qu’elle fut amenée à demander aux Associés, non pas des exercices spirituels supplémentaires, mais l’offrande du travail de chaque jour, au cours d’une heure privilégiée, choisie par chacun, selon son genre de vie, selon ses aspirations.
L’Heure de garde - c’est bien là l’heureuse découverte faite par Sœur Marie du Sacré Cœur - ne consiste pas à aller passer une heure d’adoration devant le Saint Sacrement, mais à utiliser l’heure choisie au cours de la journée, sans rien changer aux occupations habituelles, qu’elles soient d’ordre ménager, familial, professionnel, et même les loisirs, mais en prenant plus intensément conscience de la présence de Dieu. L’Associé offre durant cette heure tout ce qu’il fait, tout ce qu’il est, en louange et réparation.
L’inscription symbolique sur un cadran pour l’heure qu’on a désignée, est le signe de l’engagement pris par l’associé de consacrer son heure de garde. Ainsi, peu à peu, toutes les heures du jour sont prises en charge par l’ensemble des associés : du fait du décalage horaire, les 24 heures du jour sont ainsi couvertes.
Précisant, peu à peu, les buts, les structures, les méthodes de l’Archiconfrérie, fortement encouragée par les approbations reçues de l’Episcopat, français et étranger, par divers Brefs pontificaux, rédigeant elle-même brochures, billets, formules de prières ou de consécration, et même tout un florilège de cantiques, Sœur Marie du Sacré-Cœur, durant 40 années a été « l’âme » de l’Archiconfrérie, discrète et effacée.
Si l’extension de la Garde d’Honneur fut rapide, elle ne se fit pas sans obstacle, sans une opposition que sœur Marie du Sacré-Cœur ne pouvait prévoir, car elle vint de la part de ceux dont elle espérait, au contraire, un appui, lorsqu’elle insista sur la plaie au côté et le coup de lance qui avait transpercé le Cœur du Christ sur la Croix.
L’Evangile de Saint Jean, au cours du récit de la Passion, rapporte le fait avec la précision du témoin : alors que le Christ vient de rendre son dernier soupir - car il nous a aimé jusqu’à la fin - « un des soldats, avec sa lance, lui perça le côté et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau ». (12)
On pourrait s’étonner d’une telle insistance : il y a eu en effet au cours de la passion, d’autres épisodes, apparemment plus dramatiques, car aucun mauvais traitement ne fut épargné au Christ souffrant pour nos péchés : toute cette longue agonie sur la croix qui faisait dire à un chirurgien, méditant sur les souffrances du Christ « Mais, mourez donc, mon Dieu » (13)
L’Eglise, toujours, a interprété la scène du Calvaire rapportée par Saint Jean dans un sens symbolique : l’eau est signe de purification, le sang signe du sacrifice offert. Elle était encouragée par le Christ lui-même qui avait dit à la Samaritaine "L’eau que je donnerai… sera la source d’eau jaillissante en vie éternelle". (14)
Une telle interprétation, lorsque elle fut reprise par Sœur Marie du Sacré-Cœur n’aurait pas dû faire problème. Cependant, des objections furent présentées, et l’Evêque de Belley se crut obligé de confier ce problème à des théologiens.
Pourtant dans le Bref de béatification de Marguerite Marie le 19août 1864, on pouvait lire : « Qui donc ne se sentirait pas pressé de rendre amour pour amour à ce Cœur plein de suavité qui a été transpercé et blessé par la lance afin d’offrir à notre âme un abri et un refuge contre les assauts de l’ennemi ? Qui ne serait pas excité à rendre les hommages les plus empressés à ce Cœur sacré, de la blessure duquel ont jailli l’eau et le sang, source véritable de notre vie et de notre salut ? » (15)
Les théologiens consultés hésitèrent : il fallut une intervention personnelle du Pape Pie IX pour trancher le débat. Comme on lui présentait le texte d’une prière «Très précieuse offrande » qui est restée traditionnelle à la Garde d’Honneur, coupant court à toute controverse, il accorda à la récitation de cette prière des indulgences, en ajoutant : « Au lieu de discuter indéfiniment sur les mérites de cette blessure ou sur les mérites du précieux sang, il faut en demander l’application efficace. » (16)
Bien d’autres textes pontificaux pourraient être cités pour justifier la position prise par Sœur Marie du Sacré-Cœur. (17) (18)
On peut se demander pourquoi l’opposition sur ce point a autant duré !
(9) Le culte du S. C. p.46
(10 ‘’Haurietis Aquas’’p. 11
(11) ’’Introduction à la vie dévote » Editions Galtada. P. XIV
(12) Jean XIX 34
(13) Passion de N.S.J.C. selon le chirurgien par Dr Barbet, p. 217
(14) Jean IV 14 et VII 37/39
(15) Bref de béatification du 18 septembre 1864
(16) Archives du Monastère.
(17) Haurietis Aquas p. 32
(18) Lumen Gentium § 3